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Le contrôle social et la santé mentale

L’histoire de la médecine et de son rôle central dans la médicalisation des comportements est bien démontrée par Di Vittorio (2005) qui nous rappelle que la professionnalisation des médecins s’est produite dans le cadre d’une politique de santé publique au moment où se posait l’exigence d’un appareil technique de gestion du corps social.

Dans un essai remarquable sur l’oeuvre de Foucault, Di Vittorio démontre qu’au nom de l’hygiène publique, un savoir « médico-administratif » de la médecine s’est développé pour gérer le danger social comme risque pathologique. Dans la mesure où le discours a été axé sur la dangerosité, cette science du danger social a été le tremplin de la médicalisation ou, comme dirait Castel (1983), le contrôle social de comportements indésirables.

Ainsi, la médecine et la psychiatrie, par exemple, participent activement, au nom de la santé publique, à la définition d’une norme de comportement dans tous les aspects de l’existence. À ce titre, on peut penser aux comportements et/ou conditions tels que le tabagisme, l’hyperactivité avec ou sans déficit d’attention, la ménopause, les phases de la naissance et de la mort, les relations sexuelles, les dépendances aux psychotropes, au jeu, affectives et amoureuses, cyberdépendances, achat compulsif, troubles de l’humeur, etc.

Soumises à un ordre néolibéral économique du consumérisme où le manque d’être se transforme en manque d’avoir, les conditions principalement sociales se retrouvent de plus en plus incluses dans le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), la bible des diagnostics psychiatriques, qui n’a cessé de croître depuis toutes ces années. Ainsi, tout est renvoyé au niveau de l’individu et de ses symptômes.

Tiré de : Les multiples facettes de la médicalisation du social. Johanne Collin et Amnon Jacob Suissa, paru dans la revue ÉruditVolume 19, numéro 2, printemps 2007, p. 25–33.

Le modèle biomédical, soit le traitement pharmacologique et le système de santé institutionnel, sont nettement dominants en santé mentale. Pourtant il y a d’autres réponses possibles, telles les alternatives en santé mentale et l’intervention en amont, sur les déterminants sociaux de la santé, entres autres.

Comment s’effectue le passage d’une condition sociale ou d’un comportement individuel au statut de maladie, de pathologie ? Sur quelles bases scientifiques et idéologiques s’appuient les discours qui permettent la transposition du social vers le médical et la rendent acceptable, voire désirable, aux yeux de la société ? Y a-t-il des pratiques sociales qui s’inscrivent en faux par rapport à la médicalisation des problèmes sociaux et qui proposent des avenues innovatrices dans le sens d’une participation citoyenne ?

Nous assistons, selon Conrad, à un processus de médicalisation qui repose désormais sur un complexe largement pharmaco-industriel (Conrad, 2005). Comme modalité de contrôle social, la médicalisation serait désormais de nature beaucoup plus diffuse qu’antérieurement, puisqu’une diversité d’agents, non plus uniquement des médecins, mais aussi des acteurs relais/moteurs (industrie pharmaceutique, compagnies d’assurances, groupes de patients, État) agissent dans l’acceptation idéologique des valeurs qui sous-tendent le processus de médicalisation.

De plus en plus, le médical et le social en viennent en fait à se recouvrir l’un et l’autre, non pas superposés, mais étroitement imbriqués. Il y aurait, en effet, lieu de distinguer deux processus de fond comme le fait Conrad : celui de la médicalisation comme basculement d’enjeux sociaux et moraux dans le champ du médical et celui de la sanitarisation (healthicization), qui agirait en concomitance, à travers la transposition de problèmes médicaux ou de santé publique, en enjeux moraux et sociaux (Lupton, 1995).

Si l’un et l’autre de ces mouvements de fond se recouvrent et s’englobent, c’est largement à travers des dispositifs qui influencent, d’une part, les raisonnements médicaux et les valeurs morales qui les sous-tendent et, d’autre part, qui alimentent, chez les profanes et dans l’ensemble de la société, des aspirations convergentes jusqu’à un certain point avec cette quête de la santé parfaite.

Comme le souligne avec justesse Nye (2003), l’objectif de la santé parfaite – et, ce faisant, de corps naturels et non médicalisés – ne peut être envisagé que dans un contexte où il y aurait intériorisation totale, par les individus, de la norme médicale : « The irony of this development is that the goal of a perfectly healthy population – bodies that are “natural” and unmedicalized – can only be achieved by the individual.

Un exemple concret se retrouve dans L’évolution des conceptions de l’itinérance qui est au cœur du propos de Mario Poirier. L’auteur souligne que l’on confond trop souvent itinérance et maladie mentale, ce qui conduit à évacuer d’emblée les dimensions sociales sous-jacentes à la condition d’itinérant. En fait, la prévalence de troubles mentaux réels (c’est-à-dire correspondant à l’un des diagnostics du DSM) serait relativement faible parmi les itinérants, soit entre 10 % et 30 % selon les études citées par l’auteur, lorsqu’on exclut les problèmes de toxicomanie.

Si les troubles psychotiques sont indéniablement plus nombreux dans la rue que dans l’ensemble de la population, ils ne le sont pas suffisamment pour être érigés au rang des caractéristiques constitutives de l’itinérance. Conditions de vie, pauvreté, isolement, absence de soutien familial, voilà ce qui exacerberait, selon Poirier, les troubles psychotiques et autres problèmes de santé mentale des itinérants.

Cela expliquerait également une prise en charge nettement plus radicale et spectaculaire (hospitalisations soudaines et judiciarisation) de ces problèmes chez les itinérants que chez les individus ayant un statut socioéconomique plus favorable. La question du lien de causalité entre problèmes de santé mentale et itinérance se pose néanmoins et si la métaphore de l’œuf et de la poule semble s’imposer, l’auteur avance une détérioration nette de la santé mentale liée aux conditions de vie extrêmement dures qui caractérisent la rue. À des catégories nosologiques non adaptées à la réalité sociale et matérielle de l’itinérance s’ajoutent des instruments de mesure inadéquats pour capter la réalité de ce problème avant tout social. Pour sortir de cette logique de médicalisation, il faudra rompre avec une approche médicale objectivante qui ne tient pas compte de la relativité des contextes. La clinique devra chercher davantage à s’adapter, de conclure Poirier, aux particularités de la clientèle itinérante.

Tiré de : Les multiples facettes de la médicalisation du social. Johanne Collin et Amnon Jacob Suissa, paru dans la revue Érudit, Volume 19, numéro 2, printemps 2007, p. 25–33.

Un peu d’histoire, l’Alternative en santé mentale s’inscrit dans un processus historique de contestation, de remise en question, d’affirmation et d’innovation. Ayant émergé à la fin des années 1970, le mouvement alternatif québécois en santé mentale s’est inscrit dans un courant nord-américain de remise en question de la domination médicale en psychiatrie appelé l’anti-psychiatrie.

À partir d’une vision plutôt contestataire de l’approche biomédicale dominante, l’identité alternative s’est construite de plus en plus activement et positivement à partir de ses propres pratiques et approches. La vision alternative s’est fondée sur un ancrage communautaire et des tentatives diversifiées et polyvalentes de répondre aux besoins des personnes à partir des besoins exprimés par ces dernières.

L’Alternative, c’est d’abord et avant tout une philosophie, une vision du monde, un « autre » regard porté sur la santé mentale et sur les personnes qui vivent ou qui ont vécu des problèmes de santé mentale.

L’Alternative, c’est également une attitude commune de respect des personnes usagères, de leur histoire personnelle et de leur réalité à travers une vision positive et non pathologique de la santé mentale.

L’Alternative repose sur la croyance que la solidarité entre les individus et la participation à une communauté contribuent au mieux-être. Elle croit également que toute communauté possède un potentiel actualisant pour les personnes.

L’Alternative remet en question la culture biomédicale de la santé mentale, qui considère surtout la maladie plutôt que la santé. Elle demeure critique face aux savoirs médicaux, aux modèles de réadaptation et aux traitements utilisés en psychiatrie.

L’Alternative questionne la culture sociale qui met l’emphase sur la performance et la productivité des individus. Elle inscrit ses actions dans le mouvement communautaire autonome.

L’Ailleurs et l’Autrement

«Ailleurs» et «Autrement» réfèrent au slogan des partisans de la désinstitutionalisation signifiant une volonté de développer des ressources ailleurs que dans les institutions psychiatriques et des pratiques différentes que dans les asiles. Par « l’Ailleurs », nous proposons donc des lieux et des espaces dans la communauté qui sont indissociables à une façon « autre » de concevoir la santé mentale. Cet « Autrement » s’actualise à travers une diversité des façons d’être et de faire propres à l’Alternative.

Exemples concrets de mesures alternatives :

  • Ateliers de croissance personnelle
  • Entraide personnelle
  • Entraide collective
  • Relation d’aide
  • Thérapie individuelle
  • Thérapie de groupe
  • Gestion autonome de la médication*
  • Soutien dans le quotidien (budget, logement, nourriture)
  • Hébergement
  • Information
  • Accompagnement dans une démarche de réinsertion professionnelle (orientation, stage, emploi)
  • Accompagnement en soutien communautaire
  • Formations diverses
  • Ateliers de créativité (notamment art-thérapie)
  • Écoute 24 heures sur 24
  • Intervention de crise
  • Promotion-vigilance

Tiré du site du RRASMQ

L’article de Lourdes Rodriguez del Barrio et Marie-Laurence Poirel expose l’expérience de gestion autonome de la médication (GAM) de personnes souffrant de troubles mentaux et illustre, par là, les possibilités de transférer un pouvoir (empowerment) aux citoyens dans le processus de prise en charge. La GAM comme espace de parole et d’action transforme les plaintes individuelles en prise de parole collective autour du recours aux médicaments psychotropes. Dans ce contexte, le modèle biomédical vient uniformiser et réduire la manière d’interpréter et de prendre en charge les problèmes de santé mentale. L’article vise à rendre compte de l’origine et du développement de la GAM et se fonde sur les résultats d’une recherche-action. Suscitant un discours collectif critique au sujet des tendances dominantes de la psychiatrie nord-américaine, la GAM procure un espace où les divers acteurs s’expriment librement sur les traitements médicaux et leur rôle dans un cheminement plus vaste. Les auteures soulignent ainsi dans cet article la nécessité de prendre en compte les savoirs pluriels sur la médication psychotrope ; savoirs constitués à travers l’expérience singulière des individus et de leurs proches ainsi que du recours aux systèmes référentiels des profanes. Devant l’impossibilité, maintes fois exprimée par les personnes aux prises avec une médication psychiatrique, d’ouvrir des espaces de négociation dans leurs rapports avec les médecins prescripteurs, les ressources alternatives en santé mentale constatent le peu d’ouverture que procurent des politiques sociales limitatives et la prégnance du paradigme biopsychiatrique au sein du système de santé. L’approche de la GAM met en évidence l’importance de poursuivre le travail de réflexion et d’action autour de la place des médicaments psychotropes dans le traitement des problèmes de santé mentale et la nécessité de mobiliser le secteur public à l’égard de ces enjeux. Elle met également en lumière deux faits essentiels : 1) le savoir psychiatrique et biomédical est le produit d’une construction sociale où les définitions d’une condition changent selon un contexte et des rapports sociaux de pouvoir donnés ; 2) les personnes souffrant de santé mentale peuvent dans plusieurs cas exercer un certain contrôle sur leur vie et sur le processus de médicamentation quand elles sont accompagnées et valorisées dans leurs compétences respectives plutôt que psychiatrisées comme des « corps à médicaliser » souvent sur une base permanente.

Tiré de : Les multiples facettes de la médicalisation du social. Johanne Collin et Amnon Jacob Suissa, paru dans la revue ÉruditVolume 19, numéro 2, printemps 2007, p. 25–33.

Lien vers la GAM

Qu’est-ce qui fait qu’une population est en meilleure santé qu’une autre? Certains avancent que plus une société investit dans les services de santé, meilleure est la santé de sa population.

En d’autres mots: plus une population a accès aux traitements de pointe, plus sa santé s’en trouve améliorée. Cette idée est très répandue. Pourtant, les progrès de la science révèlent, hors de tout doute, que la santé dépend de plusieurs facteurs. Pour que l’action s’avère efficace, la lutte contre la maladie ne saurait donc suffire, bien qu’elle soit essentielle.

En effet, si l’intervention se limitait au traitement des maladies, le combat serait perdu d’avance puisque rien n’empêcherait le développement de problèmes de santé chez des personnes jusqu’alors bien portantes. Il faut aussi intervenir en amont des problèmes, en ciblant l’ensemble des déterminants qui influencent, positivement ou négativement, la santé de la population ou de groupes particuliers au sein de celle-ci.

La diversité des déterminants de la santé laisse présager que la tâche déborde largement le champ des services de santé. À l’évidence, il s’agit plutôt d’une action qui repose sur l’engagement de plusieurs acteurs : les élus, les administrateurs, les gestionnaires, les professionnels et les intervenants qui travaillent dans différents secteurs d’activité ainsi que les citoyens sensibilisés à la question.

Tout comme en santé physique, en santé mentale, cela veut donc dire aussi que la médication et la psychiatrie seule ne peuvent pas être l’unique réponse.

Plusieurs dimensions de l’état de santé de la population peuvent être prises en considération, selon l’optique que l’on privilégie.

L’état de santé global fournit une vue d’ensemble, obtenue à partir d’indicateurs globaux comme la mortalité générale, l’espérance de vie, l’espérance de vie sans incapacité ainsi que la perception de l’état de santé, physique et mentale.

L’état de santé physique est mesuré à l’aide de données relatives aux maladies et aux traumatismes qui affectent tous les systèmes du corps humain – respiratoire, digestif, nerveux, reproducteur, etc. On peut aussi prendre en compte des événements survenant à l’échelle d’une population, comme les épidémies, les changements climatiques ou la pollution.

L’état de santé mentale et psychosociale est évalué à l’aide de données sur la santé mentale dans ses composantes positives (par exemple, la satisfaction à l’égard de la vie) ou négatives (les idées suicidaires et les troubles mentaux, notamment), sur les problèmes d’adaptation sociale – incluant les différentes formes de violence, de négligence et d’abus –, sur l’intégration sociale et sur le développement de l’enfant.

Tiré de: La santé et ses déterminants, Mieux comprendre pour mieux agir. Document du gouvernement du Québec, 2012.

 

Les déterminants de la santé comprennent un large éventail de facteurs personnels, sociaux, économiques et environnementaux qui déterminent la santé d’une personne ou d’une population. Les principaux déterminants de la santé comprennent:

  1. le revenu et le statut social;
  2. l’emploi et les conditions de travail;
  3. l’éducation et la littératie;
  4. les expériences vécues pendant l’enfance;
  5. l’environnement physique;
  6. le soutien social et la capacité d’adaptation;
  7. les comportements sains;
  8. l’accès aux services de santé;
  9. la biologie et le patrimoine génétique;
  10. le genre;
  11. la culture;
  12. la race et le racisme.

 

Tiré du site du gouvernement du Canada : Déterminants sociaux de la santé et inégalités en santé.

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